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A Gaza, la fuite des survivants de Jabaliya

Pour décrire l’enfer de Jabaliya, Ahmed Shaaban a d’abord des mots de tendresse. « Notre âme est là-bas, notre vie et nos relations sont toutes liées au camp. C’est notre maison et notre patrie. On savait que ceux qui partaient n’y reviendraient pas », explique le Palestinien de 28 ans, joint par téléphone. Ce camp de réfugiés, le plus grand de la bande de Gaza, où il a passé toute son existence, il s’était promis de ne jamais le quitter. Alors, quand Israël a lancé sa dernière attaque dans le nord de l’enclave palestinienne, le 6 octobre, Ahmed et dix-neuf de ses proches se sont serré les coudes. Ils se sont partagé l’eau qu’ils parvenaient à trouver, « goutte par goutte », ainsi que leurs maigres stocks de nourriture. Ils ont tenu quinze jours sous les bombes et les tirs.
Puis « le danger et la mort se rapprochant », le jeune Gazaoui a fini par partir, mardi 22 octobre. Sa famille s’est scindée en deux groupes, « pour ne pas mourir tous ensemble d’un coup ». Ahmed a fui par le nord, vers l’hôpital indonésien, avec ses parents et son plus jeune frère, âgé de 15 ans. Son oncle et sa famille sont partis dans la direction opposée et Ahmed n’a plus de nouvelles d’eux. Son récit est semblable à un cauchemar dont il ne parvient pas à sortir, avec des « rues parsemées de cadavres ». Et il précise : « Des corps de civils, de femmes et d’enfants. » Plus de 770 Palestiniens ont été tués en dix-neuf jours dans le camp de Jabaliya et la localité voisine d’Al-Balad, a estimé mercredi 23 octobre le ministère de la santé de Gaza dont les chiffres sont validés par les organisations internationales.
Au checkpoint érigé par l’armée israélienne à la sortie de Jabaliya, des centaines de personnes attendaient, comme Ahmed Shaaban, de pouvoir quitter la nasse. Les hommes étaient systématiquement interrogés sur leur entourage, leurs voisins. « Certains étaient détenus, les yeux bandés et les mains liées, pendant huit ou dix heures, rapporte le jeune homme. On a été francs, on leur a dit qui travaillait avec le Hamas et qui n’avait aucun lien avec eux. Je me suis juste pris quelques claques. Ceux qui tentaient de mentir ou de cacher quelque chose étaient battus. »
Jabaliya est cerné par deux brigades qui en ont fait le siège pendant plus de deux semaines, alors que l’armée adressait aussi des ordres d’évacuation aux habitants de Beit Lahya et Beit Hanoun, des zones encore plus au nord, en lisière de la barrière qui sépare Gaza du territoire israélien. « Ce plan consistant à mettre tout le nord en état de siège pour pousser la population à s’en aller a été mis en œuvre de façon bien plus intense que tout ce qu’on a observé jusqu’ici à Gaza », s’alarme Tahani Mustafa, analyste senior sur la Palestine pour le cercle de réflexion International Crisis Group. Le nord de Gaza a été envahi en premier par l’armée israélienne à l’automne 2023. Une large partie de ses quartiers avait alors été broyée, méthodiquement, à coups de missiles, de bombes, d’obus de chars et de bulldozers.
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